Ils ont fabriqué des anolis albinos

Anolis Tyr-crispant albinos, issu de la modification génétique. Photo : Douglas B. Menke.

CRISPR-Cas9 est un outil d’édition génomique qui fonctionne comme des ciseaux moléculaires capables de couper très précisément une section d’ADN afin de retirer un gène ou modifier son expression. Cette technique fait polémique car elle rendrait possible la création de « bébés sur mesure » dont on choisirait la couleur des yeux par exemple, ou permettrait d’augmenter certaines capacités physiques…

On se voit déjà avec les « super-soldats » ou les « super-cerveaux » issus de la science-fiction ! Le film « Bienvenue à Gattaca » (1997) est déjà dépassé, car il s’agissait de sélection des « bons gènes », et là on parle de modification directe du génome.

Récemment, en Chine, le chercheur He Jiankui affirmait avoir « créé » deux enfants immunisés contre le VIH via CRISPR-cas9. Son université et le gouvernement chinois ont condamné cette expérimentation totalement illégale qui plus est, faite en cachette avec les fonds de l’université : le chercheur risque d’ailleurs la peine de mort pour corruption… Cette annonce a choqué la communauté scientifique, car on sait que CRISPR-cas9 est loin d’être maitrisée et a des effets secondaires : des recombinaisons de gènes après la coupure opérée par les ciseaux se produisent, il a ainsi été observé un emballement de mutations chez des souris ayant subi le traitement. Dans le cas des deux petites chinoises, une étude récente estime que cette manipulation pourrait réduire leur espérance de vie de 20% ainsi que l’apparition de mutations car le procédé aurait fait des dégâts sur d’autres gènes. Mais l’ombre de la supercherie plane : He Jiankui fait beaucoup de mystères autour de son expérience, il n’a pas publié ses travaux en détails et personne n’a jamais vu les enfants.

A l’occasion du prix Nobel de chimie attribué à la Française Emmanuelle Charpentier et à l’américaine Jennifer Doudna en 2020, pour leur découverte d’un outil moléculaire qui permet « de réécrire le code de la vie », vous pouvez lire l’article sur les ciseaux génétiques CRISPR-Cas9 publié sur CNRSlejournal.fr en 2016.
https://lejournal.cnrs.fr/articles/crispr-cas9-des-ciseaux-genetiques-pour-le-cerveau

Ou consulter la vidéo suivante :

CRISPR-Cas9 ouvre néanmoins de grandes possibilités pour l’embryologie et la lutte contre les maladies génétiques ou le cancer, mais aussi pour l’agro-alimentaire avec une production plus efficace d’OGM végétaux ou animaux. La technique a été utilisée sur de nombreux animaux mais jusqu’à présent jamais sur des reptiles non aviens. Des chercheurs de l’Université de Géorgie (Etats-Unis) l’ont expérimentée sur Anolis sagrei. Ils sont ainsi parvenus à créer des lézards albinos sur la base de parents non porteurs de l’albinisme, en insérant dans les ovaires de la femelle les ciseaux Tyr-crispant qui détruisent le gène de la tyrosinase, engendrant ainsi l’albinisme. Le défi était de taille, le génome des reptiles est plus compliqué à modifier que celui d’autres vertébrés car la fécondation n’intervient pas juste après l’accouplement : la femelle gardant le sperme du mâle un certain temps, il est difficile de savoir quand les gamètes vont fusionner. Les chercheurs ont injecté Tyr-crispant juste avant la fécondation, observant que les ciseaux moléculaires restent efficaces plusieurs jours dans les ovules non fécondées. Ainsi, ils ont obtenu de petites anoles albinos et d’autres normaux mais porteurs de l’albinisme. Cette modification est stable et transmissible. Ces recherches permettront d’en savoir plus sur les mutations chez les reptiles mais aussi sur l’albinisme chez les humains qui engendre de graves problèmes de vue voire la cécité.

Anolis Tyr-crispant albinos, issu de la modification génétique. Photo : Douglas B. Menke.
Anolis Tyr-crispant albinos, issu de la modification génétique.
Photo : Douglas B. Menke.

Mais certains voient déjà la possibilité de créer des animaux de compagnie sur mesure ou aux capacités de reproduction décuplées et bien entendu de s’en mettre plein les poches… Il existe déjà des poissons d’aquarium rendus ainsi fluorescents, ou des « super-beagle » à la musculature d’athlète. Faut-il en rire ou en pleurer ? Jusqu’où nous réservons-nous le droit de modifier, de « customiser », un animal pour notre bon plaisir ?

Source : Rasys A. M. et al. 2019. CRISPR-Cas9 Gene Editing in Lizards through Microinjection of Unfertilized Oocytes. Cell Reports 28(9)

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